" La nuit des pères "
JOSSE Gaëlle
(Notabila/Noir sur Blanc)
Un roman qui est parvenu au Lecteur par hasard. Sa présence sur les rayonnages de la médiathèque proche de son domicile (médiathèque dédiée à Victor Hugo). Une couverture qui l'a interpellé : la photo en contrejour d'un homme gravissant, à l'heure de l'aube ou du crépuscule une pente que l'on pressent montagnarde. Et la montagne, il en a beaucoup rêvé et s'est même aventuré à la fréquenter. Il a donc emprunté l'ouvrage, un ouvrage qu'il a lu d'une seule traite.
La nuit des pères est un roman qui a beaucoup et bien parlé au vieux Lecteur. Avec des émotions à fleur de peau dont il ne peut dissimuler l'impact. Comme si à travers la vie d'un père ainsi que celles de sa fille et de son fils, c'était en quelque sorte une part de sa propre existence qui s'extirpait de sa mémoire à travers le récit mis en forme par Gaëlle Josse. Isabelle, la fille, revient au pays, alertée par son frère Olivier sur la lente et inexorable dégradation de l'état de santé de leur père. " Il a quatre-vingts ans, il est en excellente forme physique. C'est la mémoire qui commence à lâcher. Il a la maladie de l'oubli. " Les mots d'Olivier, les mots qui ont donc incité Isabelle à s'en revenir au pays, celui des montagnes et des courses insensées sur des pentes vertigineuses. Le père, un quasi inconnu, un mutique auquel Isabelle voue une haine qu'elle ne s'explique pas, à laquelle elle se résigne puisque ce père-là ne lui a jamais concédé, lorsqu'elle était enfant, les mots et les gestes qu'elle attendait. Ce père qui sait que la maladie de l'oubli est en lui, qu'elle va l'anéantir dans un avenir qui ne se mesure pas. Ce père dont Isabelle découvrira fortuitement que son histoire d'homme sans tendresse, sans amour apparent envers ses deux enfants, que cette histoire-là s'est nouée au cours des longs mois qu'il a passés de l'autre côté de la Méditerranée, en ces années d'une guerre dont la nature était niée en France par ceux qui prétendaient maintenir l'Algérie dans le giron franchouillard.
La nuit des pères parcourt quelques-uns des temps de la vie du Lecteur. Sursitaire, il ne fut pas contraint à traverser la Méditerranée et à participer à cette effarante et barbare aventure qui détruisit de l'intérieur des milliers et des milliers de jeunes hommes de sa génération. Mais il sut très tôt ce qui se pratiquait en Algérie. Ce que son propre père lui avait interdit de vivre. Ce qu'il racontera en un autre espace d'expression. La nuit des pères lui a donc parlé de manière " intime ". Ce qui ne le conduira toutefois pas à réduire cette œuvre qui lui advint par hasard à un objet littéraire qui ne s'adresserait qu'à lui. La nuit des pères est bien au contraire un roman qui parle à toutes les consciences. Ce qui le rend nécessaire.
(Sur le thème de la participation du " Contingent " à la guerre d'Algérie, le Lecteur rappelle l'existence de l'excellent livre de Raphaëlle Branche Papa, qu'as-tu fait en Algérie?, ouvrage publié en 2020 par les éditions La Découverte.)