Jules Amédée Barbey d'Aurevilly (1808-1889) est un écrivain français qui a contribué à animer la vie littéraire française de la seconde moitié du XIXème siècle. Il a été à la fois romancier, nouvelliste, essayiste, poète, critique littéraire, journaliste, dandy et polémiste. Un temps républicain et démocrate, Barbey finit par adhérer à un monarchisme intransigeant, méprisant les évolutions et les valeurs d’un siècle bourgeois. Il revient au catholicisme vers 1846 et se fait le défenseur acharné de l’ultramontanisme et de l’absolutisme. Ses choix idéologiques nourriront une œuvre littéraire, d’une grande originalité, imprégnée de sa foi catholique et marquée par la question du mal et du péché.
L’Ensorcelée ou La Messe de la Croix-Jugan est un roman datant de 1854. Roman historique, fantastique et passionnel. Roman historique car sa toile de fond est la Chouannerie, cette guerre civile qui opposa Républicains et Royalistes dans l'ouest de la France, de la Bretagne à la Normandie, lors de la Révolution française, entre 1792 et 1800. Roman légèrement fantastique parce que dans toutes les provinces françaises, récits et légendes locales en font mention, ici il s’agira d’un berger jeteur de sorts. Enfin roman passionnel, quand l’amour mène à la folie, la mort n’est jamais loin.
Dans le Cotentin, près de Coutances. A la tombée de la nuit, le narrateur, très certainement Barbey d’Aurevilly, traverse la lande de Lessay à la sinistre réputation, en compagnie de maître Tainnebouy, herbager et fermier qui connait bien les lieux. Quand au cœur de la nuit, une cloche lugubre retentit, le fermier en donne la sinistre explication à son compagnon et le récit de débuter réellement.
J’en résume très brièvement les grandes lignes : l’abbé Jéhoël de la Croix-Jugan s’était engagé avec les Chouans mais après une terrible bataille perdue, croyant sa cause perdue, il tente de se suicider en se tirant une balle de fusil dans le visage mais il survit et en conservera d’horribles blessures à la face.
Quelques années plus tard, l’ancien moine réapparait et sa personnalité étrange intrigue Jeanne Le Hardouey. Fille d’un notable ayant perdu sa fortune, elle a épousé par devoir Thomas le Hardouey un nouveau riche. Attirée irrésistiblement par le prêtre, elle lui sert de messager pour contacter les rebelles Chouans par amour. Un amour non partagé qui la poussera à recourir à la sorcellerie pour s’attirer en vain ses bonnes grâces. Le drame entre en piste, la belle est retrouvée noyée dans un lavoir et l’abbé est assassiné en pleine messe pendant la consécration le jour de Pâques ! Depuis, selon des témoins, le prêtre célèbrerait toutes les nuits cette messe inachevée à jamais et la cloche qui tinte en serait le signal…
Un bon roman pour se replonger dans ces textes anciens avec leurs qualités et leurs défauts (pour un lecteur d’aujourd’hui). De l’action, du mystère, on peut frémir si on se pousse un peu, et toujours ce décalage temporel nous permettant de comparer les ressorts psychologiques entre hier et maintenant. Roman très Normand comme le voulait l’auteur, termes du patois local ou tournures de phrases nous immergent dans le bocage. Inutile d’aller loin pour trouver de l’exotisme !