Le « bocal», c’est ce lieu sinistre où Jacques est immergé, suite à une évaluation négative de ses performances au boulot. Le voilà pris dans une petit routine triste, à ce demander ce qu’il fait là, dans cet aquarium austère, côtoyant des collègues qui ne sont pour lui que d’autres poissons, voire des requins ou des piranhas. S’ajoute à cela le départ de son fils, dont il ne se remet pas, et une vie dissolue avec une épouse qui ne le comprend plus…
Est-il pour autant un looser, ou juste un employé injustement déclassé ? C’est ici que l’auteure donne de la nuance et apporte une lumière dans ce personnage qui semble ombrageux. La psychologie du personnage dessine des contours plus subtils et complexes qu’il n’y parait. D’autant qu’arrive dans sa vie aquatique une certaine Juliette. Si celle-ci s’intéresse à lui pour des raisons professionnelles au départ, une sorte d’amitié se noue, mais est-ce de l’amitié ou un sentiment plus profond, plus complexe ? Juliette semble arriver comme une bouée de sauvetage pour cet homme qui se noie désespérément. Et puis Bruno, le fils, où est-il et que fait-il ? Son absence est angoissante et plonge Jacques dans un profond désarroi. Et pourtant…
Avec des mots simples, ce roman nous fait plonger tout entiers dans cet univers, et la lecture nous laisse l’impression d’être mouillés, trempés par les tourments de cet homme, qui rappelleront à beaucoup d’entre nous quelques aléas professionnels. Qui en effet n’a jamais connu la pression du travail, le besoin de se surpasser pour survivre et la nécessité de performance, ainsi que son corollaire, la mise à l’index au profit de plus jeunes et plus performants…? L’ambiance est parfois pesante mais illuminée par des moments de tendresse, de renouveau et d’espérances. Cependant, à titre personnel, j’ai connu ce déclassement et des années d’errance dans un bureau, et j’en ai ressenti parfois, à la lecture, une impression évasive, une sorte de détachement du personnage, qui évolue dans un milieu qu’on a du mal à imaginer car il est peu décrit et de façon non factuelle. Peut-être eût-il fallu quelques anecdotes réalistes, que seul quelqu’un qui a vraiment vécu ce genre de situation peut décrire. Je pense par exemple à un directeur qui chronométrait les absences de ses subalternes pour aller aux toilettes, allant jusqu’à regarder sous la porte ajourée pour tente de reconnaître les godasses de celui qui était en train de faire. De petites choses qui permettent de mieux se représenter le récipient.. Mais peut-être l’essentiel n’est-il pas là, et le fait de laisser une part d’ombre non-décrite permet aussi au lecteur de composer à sa guise et de s’attribuer une ambiance, de s’imaginer un cadre qu’il fixe à sa guise et lui permet de se rapprocher de ce qu’il connaît…
Ainsi donc, ce fut une lecture bien enrichissante et dans laquelle on entre et on se sent comme un poisson dans l’eau, mais puisque le principe de Livrogne.com est de classer les livres selon des affinités vinicoles, après moult hésitations, je me contenterais d’un modeste « deux verres ».
L’enfer du bocal – Verana Hanf
Date de parution : 24 janvier 2023