Charlotte Bourlard : L’Apparence du vivant

Charlotte BourlardAprès une licence en langues romanes et un master en écriture théâtrale à l'Insas, Charlotte Bourlard, née en 1984, se passionne pour les courses de rats, les fêtes foraines et les tueurs en série. C'est à cette époque qu'elle entre comme apprentie chez un taxidermiste, qui lui enseigne les ficelles du métier. Elle enchaîne ensuite des boulots qui lui laissent le temps d'écrire et des randonnées en solitaire. Elle sera tour à tour serveuse,  baby-sitter en Nouvelle-Zélande, accueillante en maison médicale. L’Apparence du vivant (2021) est son premier roman.

Dans un quartier lugubre de Liège en Belgique. Les Martin, un couple de vieillards propriétaires d’un ancien funérarium ; une jeune femme, la narratrice jamais nommée, photographe à la recherche de vieilles personnes acceptant de poser nues. Entre la jeune femme et la vieille dame, la connexion se fait immédiatement et elle emménage au dernier étage de la grande maison du couple grabataire. Les deux femmes vont nous embarquer dans une aventure troublante autant que perverse…

Encore un livre que je voudrais ne pas résumer pour laisser au lecteur futur le plaisir de la découverte et de l’étonnement, mais comment parler d’un livre sans en donner les éléments ? Alors je cède, excusé par l’intuition que vous ne serez pas nombreux à vouloir le lire, hélas pour vous !

Le récit avance à petits pas avec des retours en arrière sur le passé de la narratrice, un passé lourd avec une enfance difficile, un père parti, une mère qui l’ignore, moquée des gamins de son école, brimée par son frère qui séjournera en prison plus tard, en font une rebelle punk qui « passait des heures à imaginer les détails de mes vengeances futures. » Autant dire que son esprit morbide va parfaitement s’accorder avec le projet de madame Martin qui a immédiatement pressenti qu’elle serait sa « femme de main » idéale.

Durant une dizaine d’années la taxidermiste va enseigner à son élève comment empailler des animaux qu’elles auront tués et avouons-le, les détails précis de la dissection d’un chiot sont pénibles à lire tout en étant particulièrement instructif sur les techniques du métier. Jusqu’à là tout est normal ! Ah ! Ah ! Ah !  

Désolé mais maintenant je commence à révéler ce que le lecteur ne découvrira que par bribes au cours de sa lecture mais qui constitue le sel (sic !) du roman : monsieur Martin est décédé depuis longtemps et c’est son cadavre empaillé qui repose dans le lit du couple et fait l’objet de toutes les attentions des deux femmes ; l’épilogue commence à se faire jour dans l’esprit du même lecteur quand après les animaux se seront des humains qui passeront sur la table de dissection, un mari aimé empaillé par sa femme, laquelle devenue grabataire a tout misé sur la narratrice pour s’offrir un éternel repos en apothéose.

Le roman est bien écrit mais c’est du raide qui passe néanmoins relativement facilement car le ton est à l’humour noir, l’humour Belge ? Une belgitude confortée par quelques termes locaux savoureux (brol, gletter…).

Pour résumer, animaux et humains empaillés, décors gluants et sombres, crimes, érotisme un peu spécial, mais dans tout ce glauque émerge une sorte d’amour. La jeune rebelle s’est trouvée une mère de substitution avec madame Martin, elle la cajole et s’en occupe (pas gratuitement néanmoins) avec tous les détails des soins aux vieux grabataires ; madame Martin retrouve un peu de sa jeunesse grâce à la complicité de la photographe et d’une certaine manière, le projet final de madame est une belle preuve d’amour pour son mari. Réunis et éternellement beaux…

Un très bon roman.