Paolo Rumiz, né en 1947 à Trieste, est un journaliste et écrivain voyageur italien. Envoyé spécial au journal Il Piccolo de Trieste, puis à la rédaction de La Repubblica, il couvre en 1986 les événements de la zone balkanique. Pendant la dissolution de la Yougoslavie, il suit en première ligne le conflit de la Croatie puis celui de Bosnie-Herzégovine. En novembre 2001 il est à Islamabad puis à Kaboul, pour couvrir l'attaque des Etats-Unis en Afghanistan. En tant qu'écrivain voyageur, Paolo Rumiz a parcouru de nombreux pays, notamment le long des frontières de la communauté européenne.
Appia (2019) qui vient d’être réédité en poche est un récit du voyage effectué en 2015 pour parcourir dans son intégralité la fameuse via Appia, une voie romaine de près de 600 km de longueur, partant de Rome, longeant la côte tyrrhénienne, traversant les terres de la Campanie et de la Basilicate pour terminer dans les Pouilles. Construite en 312 av. J.-C. à l'initiative d'Appius Claudius Caecus, elle joignait à l'origine Rome à Capoue, puis fut prolongée jusqu'à Brindisi, comme le résume Wikipédia.
Pourquoi cette randonnée de vingt-neuf jours ? Parce que Paolo Ramuz n’est pas qu’un écrivain baladeur, c’est un homme animé d’une forte conscience politique et sociale et cette route concentre tout ce qui l’agace et l’énerve dans cette Italie d’aujourd’hui et même ce monde moderne. Il s’indigne du sort réservé à cette voie qui fût un magnifique ouvrage reliant Rome au sud du pays, une formidable trace du talent des hommes pour l’imaginer en prévision des conséquences économiques qui en découleraient et de l’incroyable somme d’efforts pour la construire. Or, aujourd’hui, plus personne ne s’en souvient, la route elle-même a quasiment disparu par la faillite des institutions et des politiques, la spéculation immobilière, le béton qui recouvre tout… Alors ce voyage sera « une reconquête des espaces perdus, un manifeste destiné à revendiquer une Italie accessible » car « en tant qu’Italien, je souffre mille morts en voyant à quel point on répudie le passé dans mon pays ».
Rumiz partira avec trois autres compagnons ayant chacun une spécialité (pro de la randonnée, grand connaisseur des cartes etc.) et au fil des étapes, d’autres les rejoindront temporairement. Avec cet écrivain, l’excursion est toujours très cultivée (Horace…), l’Histoire fournit mille détails pointus, la géographie n’en manque pas non plus, de Rome à Brindisi les paysages évoluent et tout du long, si tous ceux qu’ils croisent s’étonnent de les voir à pied et se méfient souvent, de belles rencontres scandent le parcours émaillé de nourritures simples mais goutues (« Le problème des Pouilles, c’est qu’elles vous rassasient déjà avec les noms de leurs bons petits plats, tant ils sont évocateurs »). Loin des grandes villes l’Italie est un autre pays, le barbier du village est une pièce centrale tout comme le bistro. Plus au sud, la Camorra n’a plus le rôle social qu’elle entretenait jadis.
Excellent bouquin, un récit cultivé et un cri d’indignation pour Paolo Rumiz, un bien beau voyage pour le lecteur.
Les cents dernières pages du livre abandonnent la littérature et reprennent l’ensemble du trajet sous la forme de fiches signalétiques de chacune des vingt-neuf étapes (communes traversées, longueur, altitude etc.) pour faciliter le travail de ceux qui voudraient se lancer dans la même aventure.