Pour comprendre en quoi le départ de James Gunn vers DC Comics est une bourde invraisemblable, il suffit de faire la comparaison avec une finale hypothétique de Champions League, les dernières minutes d'un match serré. Imaginez le dernier défenseur, seul dans sa surface, qui au lieu de renvoyer le ballon en cloche pivote et adresse une invraisemblable reprise de volée dans la lucarne de son propre gardien. C'est exactement ce que Marvel est parvenu à faire avec le réalisateur qui a signé (probablement) trois des meilleurs films de super-héros jamais vus au cinéma. Et du reste, Gunn s'en va sans avoir besoin de beaucoup d'artifices, sans hausser la voix, sans jouer dans la surenchère ; il reprend les personnages qu'il connaît et emploie à merveille, pour un ultime baroud d'honneur parfaitement cohérent et chargé d'une émotion jusqu'alors inconnue au spectateur. Le troisième volet est tout particulièrement centré sur les failles de certains des personnages et la manière dont ils vont être capables de les combler, notamment en acceptant qui ils sont, d'où ils viennent et donc par la-même, où ils pourraient un jour aboutir. Certains n'ont pas le choix, comme Rocket Raccoon, qui est littéralement abattu et qui doit être sauvé de la mort par une opération complexe, nécessitant des informations qu'il avait jusque là cachées à ses compagnons d'armes. Son raton plongé dans une sorte de coma, le film est alors truffé de flashback qui nous ramènent à l'époque ou simple petit rongeur innocent, il est la victime des expériences génétiques eugénistes du Maître de l'évolution, qui l'utilise dans sa quête folle de l'élaboration d'une race parfaite, à qui il compte offrir en héritage un double de la terre, la Contre-Terre. Des expériences atroces, mais aussi pour le raton la découverte de la solidarité, l'entraide, de l'amitié, auprès d'autres animaux victimes du même charcutage. Des liens qui évidemment vont faire tirer des larmes à une bonne partie du public lorsque viendra l'inévitable moment de la séparation, du drame et donc de la définition de ce que sera par la suite le personnage du Raccoon, qui n'est pas devenu aussi violent et en apparence cynique du jour au lendemain, mais qui est le fruit d'un long cheminement tragique. Les failles concernent aussi Peter Quill, qui a bien du mal à accepter de voir mourir ou disparaître autour de lui les seules personnes à qui il tient vraiment. La dernière en date, Gamora, n'est pas tout à fait morte mais la version qui subsiste a peu de rapport avec celle qu'il a aimé. Imperméable aux sentiments et aux souvenirs de Star-Lord, ce monstre de glace ne fait que renvoyer à notre héros ses propres imperfections, ses propres échecs. Mais en réalité, cette manière d'écrire le film concerne tous les autres personnages : de Drax, blessé dans son imbécilité profonde et qui va se révéler in fine beaucoup plus subtil qu'il ne semble au premier abord, à Mantis et une forme souhaitée d'émancipation, sans oublier Nebula, dont la carapace va peu à peu se fendre enfin. Bien entendu, si une grande partie du film repose sur des événements assez tragiques et une bonne dose de pathos, le style habituel qui nervure les films Marvel studios, c'est-à-dire une douce ironie et un humour omniprésent, est également de la partie. Mais il est beaucoup mieux dosé et inspiré que dans la plupart des films récents, qui avaient tendance à aborder les longs-métrages comme de vastes blagues potaches sans queue ni tête. Il faut dire également que ce Gardiens de la Galaxie 3 présente un super vilain (mais en est-il vraiment un ?) de qualité, bien écrit et dont les motivations sont clairement définies. Le Maître de l'évolution (interprété par Chukwudi Iwuji) est une sorte de dieu autoproclamé qui a renoncé à ses émotions; poussé par un but absolument égoïste, il se lance dans une quête de la perfection mortifère. Les raisons qui font qu'il est particulièrement pressé de s'emparer de son ancien cobaye, le fameux Raccoon, sont plus subtiles qu'elles ne semblent initialement et la vérité est dévoilée en toute fin de film, dans une autre de ces scènes poignantes dont James Gunn a le secret.
Certes, lorsqu'il s'agit de mettre en scène un aussi grand nombre de personnages, il est inévitable de courir le risque d'en oublier en route ou de ne pas pouvoir donner à chacun les mêmes temps forts. James Gunn s'en sort relativement bien, à une exception près, à savoir la new entry probablement la plus attendue, Adam Warlock (interprété par Will Poulter). Dans les comics également, ce héros débute sous la forme d'une feuille vierge, d'un adulte sans la moindre expérience, venu au jour sans amour, sans avoir été préparé, construction artificielle qui allait mettre bien du temps à trouver vraiment sa place dans l'univers. Mais il ne faut pas confondre la naïveté et l'ignorance d'une créature encore en devenir avec la bêtise profonde. Ici, Warlock est avant tout utilisé pour actionner les différents ressorts comiques qui traversent le film et tout ce qui peut faire la grandeur ou l'aspect solennel de ce personnage (dans les comics Marvel) est absent sur grand écran. C'est dommage car il aurait pu permettre d'introduire de nouvelles thématiques, d'insuffler encore plus d'ambition dans le film de James Gunn, de le diriger presque vers le chef-d'œuvre absolu. Au lieu de cela, ça reste un excellent divertissement mais qui ne propose à rien de radical ou de révolutionnaire. Mais globalement, il convient de dire qu'il s'agit sans aucun doute du film de super-héros le plus agréable et le plus concret de tout ce qui a été offert lors de ces deux ou trois dernières années. Il ne faut pas se tromper sur qui est la cible de ce genre de produit. L'ambition n'est pas de décrocher une Palme d'Or au Festival de Cannes mais de rentabiliser très rapidement les coûts de production et d'affoler le box-office à travers la planète. James Gunn est en ce sens celui qui connaît le mieux les cordes sensibles des spectateurs et qui parvient à les actionner, sans pour autant trop concéder à la mièvrerie et à la facilité. On pourra lui reprocher d'emprunter toute une série de raccourcis (et il y en a des tas dans ce film) mais il garde suffisamment d'inventivité, d'honnêteté et d'amour pour ses personnages pour nous convaincre que l'ensemble tient debout et vaut la peine d'être vu. On appréciera également toute cette partie située dans une sorte d'usine quartier général fantasmagorique, perdue dans l'espace, constituée d'un organisme vivant macroscopique dans lequel doivent pénétrer les Gardiens, pour obtenir les éléments nécessaires à la survie de leur ami Raccoon. Une créativité qui trouve son pendant contraire dans des choix musicaux un peu convenus et sur une alternance désormais établie, à la limite de la nonchalance, entre scènes d'action et interludes rythmée, avec la sempiternelle cassette diffusée à plein volume dans les écouteurs ou le circuit audio du vaisseau des Gardiens. Ce troisième volet est d'autant plus réussi qu'on n'essaie pas de gratter en profondeur, mais quand on l'observe dans sa globalité pour ce qu'il est, en lui pardonnant ce qu'il ne pourra jamais être. On passe alors un très agréable moment avec la sensation qu'il est encore possible de s'enthousiasmer pour des super-héros au cinéma. Pour une véritable dissection de cinéphile et l'impression qu'un nouvel horizon semble poindre pour le genre, évidemment, le spectateur peut repasser.
Forcément, les Gardiens sont en couverture de notre mensuel du mois de mai :