En deux mots
En octobre 1981, après un incroyable périple à travers la Russie, Nicolas Cherkassky parvient à rejoindre l’Ambassade de France à Moscou et à retrouver sa France natale. En 2004, Camille, étudiante qui souhaite se lancer dans le journalisme, propose de revenir sur cette affaire. Elle n’imagine pas l’ampleur de sa tâche et les surprises qui l’attendent.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique
Ce Français qui a réussi à fuir le goulag
Aurélie Ramadier a longuement enquêté sur Nicolas, sauvé par son père du goulag et devenu un ami de la famille. Ce roman à suspense lui rend hommage en retraçant son incroyable odyssée après 37 ans de captivité.
«Nicolas est décédé au printemps 2015. Papa l’a suivi en janvier 2017, alors que j’écrivais ce livre. Ils ont emporté avec eux un morceau de l’histoire de la Guerre Froide.» Retraçant la genèse de son roman, Aurélie Ramadier lève un coin du voile sur le vrai Nicolas, l’homme qui a réussi à fuir le goulag après 37 ans de captivité et que son père a sauvé en franchissant les grilles de l’Ambassade de France à Moscou en octobre 1981 au volant de sa R5. Devenu un ami de la famille, il a expliqué son incroyable périple lors des repas auxquels il était convié. Si la petite fille qu’elle était alors n’a pas tout compris, la romancière qu’elle est aujourd’hui a trouvé là un terreau on ne peut plus fécond.
Restait à «mettre en scène» le destin de celui qui sera nommé Cherkassky.
Pour cela, nous nous retrouvons à Paris en 2004. Camille, étudiante mais très envieuse de se lancer dans le journalisme, a rendez-vous avec le responsable du Tribun, un magazine susceptible de l’embaucher. Ce dernier lui suggère d’écrire pour un supplément à paraître et consacré à la Russie, un article en proposant une image positive. «Trouvez-moi un thème sympathique, original si possible. Et apolitique. Si je vous donne mon feu vert, on pourra passer à l’étape suivante.»
Camille va alors se souvenir de l’incroyable aventure de Nicolas et se dire qu’elle tient peut-être un sujet. D’autant que cette histoire n’est pas sans rappeler l’Affaire Farewell, l’histoire de cet agent du KGB qui s’est mis au service des services de renseignements français en lui fournissant des milliers de documents. Les dates sont du reste concordantes, les deux affaires se déroulant en 1981. Alors Camille commence par rassembler la documentation sur cette affaire et tombe sur une page arrachée d’un livre, Une vie volée de Danielle Hébert. Un ouvrage qu’elle va avoir beaucoup de peine à trouver, mais qui va lui permettre de donner toute sa crédibilité à son sujet, car il raconte le destin de Nicolas Cherkassky et va lui livrer les premiers indices susceptibles de l’aider à remonter la filière d’une enquête aussi difficile que passionnante.
Ancien étudiant en journalisme, je me permets ici d’ouvrir une parenthèse à l’attention de tous ceux qui veulent travailler dans l’information. Je leur conseille la lecture de ce livre avec de quoi prendre des notes à portée de main, car la manière dont Camille va mener son enquête est une vraie leçon de journalisme d’investigation. On enregistre les interviews, on recoupe les informations, on croise les sources et on remet en question les affirmations. On oublie aussi une thèse pour y revenir par la suite quand un autre éclairage aura permis d’appréhender l’affaire par un autre bout. Voici donc Camille essayant de tirer les vers du nez à Dominique qui a travaillé de longues années au quai d’Orsay, retrouvant Danielle Hébert et tentant de lui soutirer les noms d’autres témoins, cherchant tous ceux qui ont pu côtoyer Nicolas Cherkassky dans ces années 1980-1990, lorsqu’il avait retrouvé la France et avait ouvert un restaurant russe dans le XVe baptisé Le Traktir.
Au fur et à mesure que se dévoile le parcours de Nicolas ce sont aussi de nouvelles questions qui émergent sur le rôle des services secrets français, sur l’attitude des services secrets russes, sur l’envie de croire au scénario le plus héroïque. Une histoire à la Monte-Cristo qui voit un prisonnier s’évader du goulag et réussir à parcourir des milliers de kilomètres pour retrouver sa terre natale en bénéficiant d’aides improbables. À moins qu’il ne s’agisse d’un scénario arrangé de toutes pièces pour retourner un agent.
Aurélie Ramadier se garde bien de répondre à cette question, laissant au lecteur le soin de se faire une opinion à l’aune des témoignages recueillis et des documents consultés. Jusqu’aux dernières pages dans lesquelles les rebondissements sont encore plus nombreux qu’au fil des chapitres, on suit Camille avec délectation, on partage ses doutes, on se réjouit avec elle de chaque nouvelle avancée. Et on n’a pas vu passer les 450 pages de ce vrai-faux roman d’espionnage.
L’Affaire Cherkassky
Aurélie Ramadier
Éditions Balland
Roman
450 p., 25 €
EAN 9782940719198
Paru le 1/12/2022
Où?
Le roman est situé en Russie et en France, avec des étapes à Bagnolet, Toronto, Marseille ou encore Islamabad, sans oublier les camps du goulag.
Quand?
L’action se déroule de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Moscou, 23 octobre 1981. Échappé du goulag, poursuivi par le KGB, Nicolas Cherkassky parvient enfin à franchir les murs de l’Ambassade de France. Il est sauvé. Cela fait 37 ans qu’il attend ce moment. 37 ans qu’il est retenu en URSS contre son gré.
Paris, au début des années 2000. Camille, une jeune journaliste, découvre son histoire. Les zones d’ombre ne tardent pas à apparaître autour de ce personnage énigmatique, passé à l’Ouest en pleine Guerre Froide. Cherkassky, victime ou espion?
Journalistes, artistes, hommes d’affaires, professionnels du renseignement : l’enquête mènera Camille à ceux qui ont connu Cherkassky. Mais le passé trouvera dans le présent des résonances inattendues. Confrontée à des faux-semblants, des résistances et des hostilités invisibles, la jeune femme manquera de se perdre.
L’affaire Cherkassky oscille entre hier et aujourd’hui, entre les avenues parisiennes et l’immensité soviétique, entre les réceptions diplomatiques, les baraquements du goulag et les bancs de l’université, entre Bagnolet, Toronto, Marseille et Islamabad. À la fois roman d’espionnage et récit d’une existence hors du commun, il s’inspire d’une histoire vraie, celle d’un homme ordinaire qui connut une vie extraordinaire.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
FranceNetInfos (Patrick Delort)
Le Mag du ciné (Oscar Modon)
Slash (Solène W.)
Culture femme (Marine Payet)
Blog Zone livre (Nicolas Bücher)
Blog Valmyvoyou lit
Les premières pages du livre
« Moscou, 27 octobre 1981.
L’avenue Kalinine est recouverte d’une pellicule de neige sale. Une cohue de Lada s’y presse, sur deux fois trois voies. Des barres d’immeubles sectionnent l’horizon. Au-dessus, le ciel s’étire, uniformément gris.
Des enfants jouent sur le parvis. Il pousse la lourde porte en bois, se glisse à l’intérieur. La porte se referme et son claquement résonne dans toute l’église. Puis les échos de l’extérieur s’évanouissent. Il se sent enveloppé d’une odeur de pierre humide, d’encens et de bois ciré. La lumière de la rue, filtrée par les vitraux, s’allonge sur les dalles de Ia nef. Par souci de discrétion, il emprunte le bas-côté. Seuls résonnent sous les arches le bruit traînant de ses pas.
Le froid est glaçant. Les centaines de bougies allumées, dressées sur les lustres ou sur les présentoirs, donnent l’illusion de réchauffer l’atmosphère. Les flammèches oscillent en silence dans la pénombre. En haut des piliers interminables, l’or des fresques flamboie, éclairant les visages dessinés d’un trait limpide à même la pierre. Une Vierge à l’Enfant fixe sur lui son regard immobile. Je suis venu t’implorer. Je t’ai toujours honorée. J’ai toujours honoré ton Fils. C’est ma dernière chance. Sauve-moi.
Un chant emplit l’église et s’épanche avec la fluidité d’un souffle. Des voix graves, puissantes, qui chantent à l’unisson. Des moines. Il n’est donc pas seul. Le chant devient bourdonnement. Il tente de contenir le flot de panique qui monte en lui. Il a besoin de tout son discernement, de tout son courage, de tout son sang-froid. Il presse sa main droite contre son ventre, regarde sa paume. Elle est couverte de sang. Il n’a plus le temps. Il faut partir, tout de suite. Il est peut-être déjà perdu. Et cette fois, pour de bon.
1. Paris, septembre 2004
Hangar? Terminal d’aérogare? Cathédrale futuriste? Je n’aurais pas trop su dire ce que m’inspirait l’endroit. J’avais pourtant eu le temps de me poser la question, depuis trois quarts d’heure que je patientais, le nez en l’air, dans ce hall à l’esthétique indéfinissable. Le lieu bruissait d’un va-et-vient continu, un flux de femmes en tailleur, de quadras bobos et de stagiaires affairés. Quelques seniors élégants, beaucoup de barbes de trois jours; de temps en temps, une folle de mode en tenue improbable. Au milieu de tous ces gens, je reconnus quelques stars de la profession. Célèbre ou anonyme, je les enviais tous.
Le soleil de fin d’été s’y déversait par une grande baie vitrée donnant sur le rez-de-jardin. Les dimensions du hall amplifiaient les bruits – murmures, sonneries de téléphone, claquement des talons sur les dalles de carrelage brut éclaboussé de lumière -, mais l’ambiance restait étonnamment feutrée dans ce temple de l’info. Après avoir vérifié mon rendez-vous dans l’agenda du chef, une secrétaire-cerbère m’avait invitée à patienter dans le lobby. C’est donc ce que je faisais, campée sur une banquette rouge vif dont l’assise et le dossier dessinaient une bouche de couleur pop outrancièrement pulpeuse. De là, j’observais l’atmosphère de ce sanctuaire médiatique, une ruche vibrant H24 où l’info était recueillie et traitée en continu, avant d’être délivrée au monde, décantée, analysée. C’était un peu comme je l’avais imaginé, en fait. En plus solennel.
J’étais assez impressionnée. Dans ce hall, assise sur canapé design, je me trouvais au seuil de mon rêve. J’allais rencontrer le directeur du Tribun, un des magazines les plus respectés du monde de la presse. Il allait me proposer d’écrire et même, pourquoi pas, de m’embaucher.
Dans mon esprit, c’était évident: ma vie n’était pas à la Sorbonne, où je faisais mes études. Le journalisme y était perçu comme une pratique inélégante, un peu vulgaire. On étudiait pour la beauté du geste. Moins les thèmes étaient utilitaires, plus ils étaient vénérés. On s’y trouvait comme dans un tableau de Poussin, où maîtres et disciples se tenaient allongés sur de vertes pelouses, dégustant des grappes de raisin lascivement suspendues au-dessus de leurs lèvres. Une bulle idyllique de savoir, flottant au milieu d’une nature enveloppante, infinie; loin, bien loin du fracas du monde.
Je regardai mon portable. On essaierait de se retrouver ce soir, avec les autres.
«Entendu». La secrétaire murmura quelques mots au téléphone. Elle raccrocha, se leva.
– «Mademoiselle?»
Elle m’accompagna dans l’ascenseur. Au fur et à mesure que la cage transparente glissait vers les étages supérieurs, mon estomac se serrait. Nous nous retrouvâmes bientôt devant la porte du bureau de celui que je devais rencontrer. Antoine Le Guellec.
Elle m’introduit dans la pièce, un vaste capharnaüm bourré de livres ou de magazines où flottait une odeur de tabac froid. Le Guellec était assis à son bureau. II leva la tête, sourit me fit asseoir. La secrétaire s’éclipsa.
Je dévidai mon bref CV, avide de lui plaire et de créer du lien. Prépa, histoire puis lettres à la Sorbonne, pratique de l’écriture, petits boulots sympas, grosse motivation. Il m’écoutait d’une oreille, feuilletant des dossiers, consultant son agenda. Quelques paquets de cigarettes, pleins ou vides, formaient sur son bureau des piles à l’équilibre incertain ; entre chacune d’elles gisaient pêle-mêle crayons, bics et stylos et toutes sortes d’accessoires de bureau. Je terminai mon exposé en formulant ma requête.
– …C’est pourquoi je souhaite m’orienter vers le journalisme. J’aime l’information, j’ai l’habitude d’écrire et je pense pouvoir apporter une contribution intéressante à votre magazine.
Bras de chemise, simplicité amène: ce n’était pas l’apparence de Le Guellec qui imposait le respect. Plutôt l’assurance qui émanait de lui, en dépit de sa décontraction toute juvénile. Et ce message qu’il émettait, en mode subliminal: vous êtes assise là, en face de moi. Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez.
– Un petit article, oui… Pourquoi pas. À faire valider avant publication, bien sûr.
D’un clic, il lança une impression. L’appareil se réveilla et se mit à cracher des feuilles dans un bourdonnement monotone. Le Guellec semblait réfléchir, promenant son regard sur un exemplaire d’un magazine concurrent qui traînait, ouvert, à côté d’un assortiment de mugs aux bords intérieurs maculés de café froid. Un homme politique s’y justifiait de sa condamnation pour fraude fiscale. L’article était accompagné de photos sur lesquelles on le voyait en famille, au milieu de petits-enfants endimanchés comme des Windsor; assis sur la pelouse, entouré de sa femme et de son chien; courant sur la plage avec son chien, mais sans sa femme, affrontant les embruns, tous pectoraux dehors. À la fin, Le Guellec ramassa en une liasse les feuilles imprimées qu’il fit disparaître dans un classeur. Puis il se gratta le nez.
– Vous n’avez pas de formation, c’est ça?
– Journalistique, vous voulez dire?
– Oui.
– En effet, je n’ai pas suivi de spécialisation. Mais j’ai une licence d’histoire, une licence de lettres, et je me suis inscrite aux concours de l’enseignement, pour la préparation. Et je compte bien apprendre sur le terrain. Il soupira.
– On ne va pas se mentir, reprit-il. Le journalisme, c’est un métier; et un métier, ça s’apprend. Enfin, je dois bien ça à Dominique. Vous aviez un sujet en tête ?
– Je pensais écrire sur l’actualité littéraire. C’est mon terrain naturel. Vous avez sans doute besoin de renfort en cette période de rentrée, il y a tellement de parutions en septembre… Il esquissa une moue dissuasive. – Sinon, j’ai des amis qui se sont lancés dans le commerce équitable et je me disais que… – – Dites-moi, m’interrompit-il, je me trompe ou vous avez vécu à l’étranger ?
– Eh bien… oui, répondis-je, surprise.
– Dominique m’a dit que vous avez vécu en URSS.
– Un peu, bredouillai-je. À Moscou. Mon père y travaillait comme ingénieur pour un groupe automobile. Mais j’étais très jeune et.
– Vous avez bien quelques souvenirs ? Enfin, je veux dire par là que ça vous parle, la Russie? J’étais totalement prise de cours. Bien sûr que j’en avais, des souvenirs. Les rues enneigées, ma nounou russe et ses berceuses en cyrillique, l’école française, la cafétéria de l’institut; les promenades dans les forêts de bouleaux, les bulbes de la cathédrale Saint-Basile. Ça ferait de jolies photos, c’est sûr, mais je ne voyais pas bien quel genre d’article ça pourrait donner.
– J’ai quelques souvenirs en effet, mais…
– Écrivez là-dessus. Sur la Russie. Attention, dit-il en pointant l’index en l’air. Pas la Russie de Poutine, le sommet russo-américain, l’élargissement de l’OTAN, les attentats tchétchènes, tout ça, non, vous le laissez aux spécialistes. Nous avons ce qu’il faut et depuis les attentats du World Trade Center, les consciences sont en alerte. Aujourd’hui, la Russie n’a pas les faveurs de l’opinion publique française. Présentez-en une image positive. Trouvez-moi un thème sympathique, original si possible. Et apolitique. Si je vous donne mon feu vert, on pourra passer à l’étape suivante.
Je restai perplexe.
– Mais… pourquoi la Russie ?
– On prévoit de sortir un numéro spécial d’ici quelques mois. C’est pas mal, comme timing. Vous avez le temps de travailler, j’aurai le temps de vous faire corriger. L’autre avantage, ajouta-t-il en rassemblant une pile d’enveloppes, c’est que Dominique pourra superviser ce que vous faites. La Russie, ça le connaît.
– J’avoue qu’à chaud, je n’ai pas trop d’idée sur ce que…
– Je ne suis pas inquiet.
Il soupira, posa les mains sur la pile de courrier.
– Pardonnez-moi d’être franc, Camille, mais personne ne vous attend. J’ai promis à Dominique que je jetterai un coup d’œil à ce que vous aurez écrit, et je le ferai. De votre côté, respectez la contrainte, et soyez inventive. Jouez le jeu! Et recontactez-moi lorsque vous aurez trouvé votre sujet, qu’on se mette d’accord. Ça marche ? »
À propos de l’auteur
Aurélie Ramadier © Photo DR
Aurélie Ramadier est née en juin 1978 à Paris. Son père est Cadre d’Orient au Quai d’Orsay. Elle grandit dans l’URSS des années 1980, puis en Allemagne à l’époque de la chute du Mur. Par la suite, elle voyagera en Israël, en Algérie, en Asie Centrale et en Afrique subsaharienne. De retour à Paris, elle est élève au lycée Henri-IV, ainsi qu’à la Schola Cantorum en classe de piano. Elle étudie ensuite la musicologie et la littérature comparée. Son mémoire de DEA (master) porte sur l’opéra Saint-François d’Assise d’Olivier Messiaen. En 2001, elle est reçue à l’agrégation de lettres classiques. L’écriture est pour elle une façon d’interroger les chemins, les trajectoires, les expériences. Elle lui permet aussi d’approcher ce qui ne lui ressemble pas. Aurélie Ramadier vit à Singapour. Elle a trois enfants. (Source: aurelieramadier.fr)
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