Au revoir là-haut • Pierre Lemaitre

Par Bénédicte

Éditions Albin Michel, 2013 (564 pages)

Ma note : 17/20

Quatrième de couverture ...

Sur les ruines du plus grand carnage du XXe siècle, deux rescapés des tranchées, passablement abîmés, prennent leur revanche en réalisant une escroquerie aussi spectaculaire qu'amorale. Des sentiers de la gloire à la subversion de la partie victorieuse, ils vont découvrir que la France ne plaisante pas avec ses morts...
Fresque d'une rare cruauté, remarquable par son architecture et sa puissance d'évocation, Au revoir là-haut est le grand roman de l'après-guerre de 14, de l'illusion de l'armistice, de l'État qui glorifie ses disparus et se débarrasse de vivants trop encombrants, de l'abomination érigée en vertu.
Dans l'atmosphère crépusculaire des lendemains qui déchantent, peuplée de misérables pantins et de lâches reçus en héros, Pierre Lemaitre compose la grande tragédie de cette génération perdue avec un talent et une maîtrise impressionnants.

La première phrase

" Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre, justement. Aussi, en octobre, Albert reçut-il avec pas mal de scepticisme les rumeurs annonçant un armistice. "

Mon avis ...

02 novembre 1918. À l'approche de la signature de l'armistice, les cœurs ne sont pas en liesse. Et pour cause : sur le front, le combat continue. Cela fait maintenant quatre années qu'Albert Maillard vit la peur au ventre, dans l'horreur des tranchées. Son supérieur, le lieutenant d'Aulnay-Pradelle, organise une mission de reconnaissance. Deux malheureux sont envoyés en première ligne. Ils ne reviendront jamais. Pire encore, ils serviront de prétexte pour lancer un ultime assaut.

Une bombe. Un cratère. Et un coup de coude bien placé de Pradelle... qui ne souhaite pas de témoins lorsqu'il s'agit de faire disparaître les corps des soldats envoyés précédemment face à l'ennemi ! Albert tombe, et se trouve recouvert de terre par le souffle d'une nouvelle explosion. Il manque alors de périr enterré vivant. Coup de chance, le voici sauvé in extremis par Édouard Péricourt qui n'hésite pas à creuser malgré une sérieuse blessure à la jambe. Maillard est sain et sauf. Mais Péricourt se retrouve défiguré par un éclat d'obus. Un trou béant lui fait désormais office de visage. Bien qu'issus de milieux sociaux très différents, les deux hommes se trouvent liés à jamais. Albert Maillard fera tout pour que son compagnon soit pris en charge le mieux possible...

Quel roman inoubliable ! Cette lecture fut un quasi coup de cœur. Je ne connaissais pas la plume de Pierre Lemaitre qui possède un réel don de conteur. Au fil des pages, l'auteur nous fait découvrir l'après-guerre de 14, ou plutôt l'envers du décor. Face à l'État qui entend bien rendre hommage et glorifier ses disparus, les rescapés sont totalement mis de côté. Et que dire du sort des gueules cassées... Au revoir là-haut est une fresque cruelle mettant en scène des personnages traumatisés par la guerre, et dont on s'est très peu souciés une fois la victoire remportée face à l'Allemagne. Pour les fracassés, les gueules cassées, les amputés : il était tout simplement impossible de retrouver une vie normale. C'est ce qui donnera à Péricourt l'envie de se venger via l'idée d'une folle escroquerie.

Pradelle. Péricourt. Maillard. Pierre Lemaitre nous propose de suivre le destin de trois escrocs, tous bien différents. Henri d'Aulnay-Pradelle (absolument odieux) est le dernier né d'une famille noble désormais ruinée. Il va profiter de la guerre pour faire fortune de manière abjecte. Vient ensuite Édouard Péricourt, artiste dans l'âme, qui préfère passer pour mort plutôt que de renouer avec un père haut placé, et donc fortuné, mais dénigrant à son égard. Refusant toute chirurgie réparatrice, il compte bien trouver un moyen pour se venger de la société. Albert Maillard représente quant à lui le faible qui tremble face aux puissants. Issu d'un milieu modeste, capable de bons sentiments, il se laissera malgré tout entraîner dans toute cette histoire d'arnaque par loyauté envers Péricourt.

C'est bien simple, je pense avoir tout aimé dans ce récit. Les protagonistes. L'intrigue. L'apparition de rebondissements. Le final. Les pages auront tourné à une vitesse folle ! J'ai également beaucoup aimé suivre le destin de Madeleine, la sœur de Péricourt (j'ai surtout apprécié toute l'évolution apportée à son personnage). Enfin, Pierre Lemaitre réussit à créer de vrais méchants. On a bien sûr, très rapidement, envie de découvrir le sort réservé à Pradelle (à savoir si un retour de bâton l'attend ou non à la fin de l'intrigue).

En bref, je ne peux que vous recommander chaudement la lecture de ce roman, dur mais passionnant, sur l'après-guerre de 14-18. Si j'étais allée voir le film au cinéma (réalisé par Albert Dupontel en 2017), rien ne vaut la découverte du roman d'origine comme c'est généralement le cas. J'espère maintenant avoir l'occasion de lire la suite ( Couleurs de l'incendie).

Extraits ...

" Édouard fumait d'une narine et portait une sorte de masque, bleu nuit, qui commençait au-dessous du nez et qui couvrait tout le bas de son visage, jusqu'au cou, comme une barbe, celle d'un acteur de la tragédie grecque. Le bleu, profond mais lumineux, était parsemé de minuscules points dorés, comme si on avait jeté des paillettes dessus avant le séchage.
Albert marqua la surprise. Édouard fit un geste théâtral de la main, l'air de demander : "Alors, comment me trouves-tu ?" "