Etats-Unis dans les années 50. Cornelius Suttree est sorti de prison, « J’étais avec des types qu’on a pris en train d’essayer de cambrioler un drugstore », rejeté par sa famille il vit dans une barge sur les berges du Tennessee dans la banlieue de Knoxville et du produit de sa pêche.
Roman sans réel début ni fin, comme une photo des errances d’un homme vivant en marge de la société, une tranche de sa vie. D’avant nous ne saurons presque rien mais on devine que sa famille ne vivait pas dans la misère et qu’il a un minimum de culture, d’après nous ne pouvons que supposer que sa fin sera difficile…
Le monde de Suttree, ses connaissances, ce sont les chiffonniers, les ferrailleurs, les prédicateurs évangélistes, les traine-savates du coin vivant dans des cabanes miteuses pour les mieux logés, sous les ponts pour les autres, « Des êtres si misérables que même la mauvaise herbe refusait de pousser chez eux ». Alcools frelatés, cuites, vomi, « légendes de violence, d’échauffourées avec la police, de sang qui coule dans les cellules en béton et de toux et de gémissements anonymes et de delirium dans l’obscurité ».
Et puis il y a Gene Harrogate, un jeune gars pas bien malin, un adolescent à moitié débile, connu en prison (il a « violé » nuitamment des pastèques dans le champ d’un fermier !) qui s’impose gentiment comme « ami » de Suttree ; toujours prêt à se lancer dans des projets foireux… et finalement assez amusants pour le lecteur.
A l’humour léger succède l’émotion, Suttree avait un enfant dans son autre vie, il vient de décéder et on lui interdit d’assister à son enterrement. Plus tard notre héros croira trouver une sorte de bonheur ou du moins une certaine stabilité en se mettant en ménage avec une prostituée, leur train de vie s’améliore mais c’était trop beau pour durer.
L’écriture est magnifique, soit particulièrement soignée et cultivée pour les descriptions, soit plus vulgaire dans les dialogues entre poivrots.
Cormac McCarthy nous donne avec ce livre l’un des plus grands romans de la littérature américaine et comme tels, construit sur des portraits d’inconnus affreux, sales mais pas vraiment méchants, les exclus de la société qui survivent au bord de ce fleuve qui s’écoule imperturbable, chaque jour le même, chaque jour différent.
Magnifique.