Première mauvaise nouvelle pour la série Disney Plus Secret Invasion : une levée de bouclier généralisée partout sur internet, des créateurs, artistes, scénaristes… il faut dire qu'à l'heure où tout le monde se plaint de l'arrivée de l'intelligence artificielle et de l'inexorabilité du remplacement d'artistes humains par un simple algorithme, le choix de démarrer par un générique qui emploie cet "outil du diable" n'est pas des plus judicieux. Nous avons d'ailleurs consacré un dossier le mois dernier à ce que certains voient comme une tromperie éhontée et d'autres comme une source de perspectives nouvelles. En tous les cas, il était probablement encore trop tôt et très sûrement de mauvaise aloi de se présenter ainsi, sur la ligne de départ. Autre petit problème, la nécessité pour le showrunner Kyle Bradstreet de ne absolument pas lire l'Invasion Secrète de Brian Bendis. Cela lui a été expressément demandé afin qu'il présente un produit différent, ne tenant compte que des exigences qui lui ont été présentées et de sa propre inspiration. Le type doit aussi composer avec ce que sont les Skrulls dans le MCU, c'est-à-dire une race extraterrestre finalement pas si méchante que cela, au point que certains d'entre eux sont devenus nos amis et ont fait figure de victimes dans le film consacré à Captain Marvel. Du coup, la solution pour rendre les aliens antipathiques est toute trouvée : la création de deux factions. Une avec laquelle les héros travaillent en sous-main, l'autre composée de barbouzes, de dangereux terroristes, de nationalistes (identitaires?) enragés qui aimeraient faire de la Terre une nouvelle "Skrullos" et qui ont décidé de noyauter notre monde patiemment et sûrement, notamment à travers de nombreux attentats aux quatre coins du globe, qui ont pour but de déstabiliser la géopolitique déjà bien fragile ces temps-ci. Samuel L. Jackson a pour sa part annoncé clairement qu'il s'agit d'un dernier tour de piste dans l'univers cinématographique Marvel, avant de se retirer pour bons et loyaux services. D'ailleurs, son personnage a sérieusement vieilli et c'est un Fury presque grabataire que nous retrouvons. Bien entendu, cette petite exagération humoristique est évidente mais le maître des espions est loin d'avoir conservé toute sa superbe; et on comprend qu'il est toujours traumatisé par sa disparition provisoire, lorsque Thanos a éliminé la moitié des êtres vivants de la planète. Outre le fait que le temps continue de faire son effet sur son organisme et l'empêche d'être aussi efficace qu'il pouvait l'être dans sa prime jeunesse. Une vieillesse qui participe à un sentiment de délitement, de délabrement, qui est aussi exprimé à l'écran dans les lieux, avec notamment (Russie oblige) de soi-disant centrales nucléaires désaffectées qui ne figurent même pas sur les cartes, mais où bien entendu il est impossible de vivre à cause de la radiation, sauf pour les organismes skrulls, qui eux ne rencontrent pas ce genre de problème.
L'espionnage à bon dos : il faut dire que ce qui faisait tout l'intérêt de Secret Invasion dans les comics, c'était d'inclure la gigantesque tapisserie des super héros Marvel, où chacun pouvait être en réalité un extraterrestre sous couverture… et donc une paranoïa invraisemblable se répandait à travers le sous-bois des encapés. Ici, aussi bien pour des questions de budget que de réelles intentions de départ, vous n'aurez droit à rien de tout ça. Du coup, Nick Fury qui mène l'enquête, c'est très pratique pour transformer ce qui au départ est bien plus incommensurable et stratifié, en une petite série d'espionnage au rythme assez lent et aux enjeux qui n'apparaissent pas forcément de manière immédiate aux spectateurs. Les deux premiers épisodes sont éloquents là-dessus; ça parle beaucoup et ça agit assez peu. On appréciera que les personnages de Talos et Gravik, surtout dans le second épisode, présentent des argumentaires intéressants qui remettent en question notre propre rôle sur notre planète et varient les points de vue : ça permet de densifier les motivations de tous les camps et même de nous les faire comprendre, à défaut d'accepter en bloc. Mais en dehors de ça, il y a quand même un esprit assez creux dans cette série. Les scènes de combat sont loin d'apporter beaucoup, la photographie n'est pas très soignée et on a l'impression de regarder un produit réalisé au rabais, sans oublier le choix de se concentrer sur des personnages mineurs, qui sont très peu connus du grand public, ce qui n'est pas fait pour susciter l'adhésion. Au moins, nous évitons la pantalonnade généralisée qui fait que tous les produits Marvel récents sont systématiquement tournés en dérision. Un autre problème pour le moment, c'est que l'absence prolongée de Nick Fury ne peut s'expliquer qu'à condition que cela se termine en un retour spectaculaire ou tout du moins très significatif. Or ici, on a l'impression qu'il va falloir être patient ou au contraire se résigner à être déçu sur ce point précis. Et nous raconter que cette série servira avant tout à introduire le film The Marvels ne tient pas la route. On préfèrera donc les seconds rôles (comme celui de Olivia Coleman) ou la pétillante Emilia Clarke qui apporte son lot d'émotions à la série. Mais bon, pas certain que ces épisodes marquent l'histoire du genre.