Rompre les digues - Emmanuelle Pirotte

 Rompre les digues   -   Emmanuelle Pirotte


Rompre les digues   -   Emmanuelle Pirotte
Philippe Rey
Parution : 04/03/2021
Pages : 272
Isbn : 978-2-84876-866-3
Prix : 20 €
Présentation de l'éditeur
Sur les rives de la mer du Nord, Renaud coule des jours malheureux dans sa maison de maître, malgré l’attention de ses amis, presque aussi perdus que lui : François, vieux chômeur lunaire, et Brigitte, investie auprès des migrants. Ni les rencontres régulières et souvent dangereuses avec Tarik, son dealer, ni les voyages sporadiques en Angleterre chez l’excentrique tante Clarisse ne viennent guérir son dégoût de l’existence. À la mort de sa vieille gouvernante, Renaud recrute Teodora, jeune Salvadorienne taciturne, sans connaître son violent passé… Dans la grande demeure remplie d’œuvres d’art et de courants d’air, entre ces deux écorchés s’installe alors un étrange climat de méfiance et d’attraction.
Avec un humour mêlé de tendresse, Emmanuelle Pirotte brosse un portrait vitriolé de notre Occident épuisé. Mais elle esquisse également la possibilité d’une rédemption. D’Ostende à Douvres, en passant par l’Espagne et l’Amérique latine, nous marchons dans les pas de personnages intenses et fragiles qui se heurtent à leurs démons, à la violence et à la beauté du monde. Renaud et Teodora sortiront-ils de leur profonde nuit pour atteindre l’aube d’une vie nouvelle ?
Mon avis
Ostende, la mer du Nord, un ciel bas, gris comme la mer.  Un environnement qui représente très bien l'état d'esprit de Renaud, la petite cinquantaine, un homme certes extrêmement riche, mais surtout un homme seul, très seul, en manque d'amour, en manque d'envie de vivre...  Seul l'alcool, la drogue, le sexe tarifé l'illuminent encore.
Il a quelques amis dont le fidèle François, un paumé, sans emploi qu'il connaît depuis son enfance. C'était le fils de la cuisinière, il est désargenté, un peu en mal de vivre lui aussi depuis la mort de son épouse.  
Il y a Brigitte, une militante humanitaire qui s'oublie et oublie sa fille pour les autres (migrants).
Téodora Paz est salvadorienne, elle travaille pour la famille Vervoort.  Elle s'occupe des trois enfants, esclave des temps modernes, dévouée corps et âme à cette famille, ne disposant pas de temps pour elle.Elle est en exil, un lourd passé derrière elle.  Elle, la fière, violente, écorchée vive, va rencontrer Renaud lorsque ses employeurs n'en voudront plus.
Ces deux écorchés de la vie, lui, Renaud qui peut tout s'offrir et elle, qui a tout perdu vont se côtoyer, ces deux solitudes vont se métamorphoser.
Ce récit qui pourrait sembler déprimant de prime abord par la solitude de ses protagonistes va devenir lumineux grâce à l'excentrique tante Clarisse, porteuse d'espoir qui tissera des liens entre eux.
C'est un véritable portrait de notre société occidentale, des solitudes, de la cruauté de la vie, des fractures de classes sociales, de l'insolence des nantis, des violences et inégalités sociales que nous dresse Emmanuelle Pirotte.
Une écriture magnifique comme toujours, elle décrit ces échorchés vifs avec brio, humour.  Un ton sarcastique, poétique empreint d'humanité.
La psychologie des personnages est très développée.  On s'attache aux personnages que l'on a envie de sauver, de rendre heureux.
Un très beau roman que je vous conseille vivement.
Ma note : 9/10
Les jolies phrases
La liberté était le seul véritable luxe, et elle n'en jouirait jamais.  
Comme François aimerait se réchauffer à son écran opalescent, à ces couleurs qui subliment tout ! Comme il aimerait se leurrer quelques minutes sur le sens de la vie avec ces photos de gens aux sourires crispés qui arborent leurs cornets de glace, leur nouvelle voiture, leur chat ou leurs enfants avec la même impudeur et la même complaisance puérile ! Oui, Renaud a raison, oui, ces écrans annoncent la fin de l'espèce, mais bon Dieu qu'il est doux de leur livrer son âme , pour un instant seulement.
Renaud ne s'était jamais senti à ce point en sécurité qu'avec ce gars-là. Tarik aurait dû être son père. Un père adoptif, jeune, vif, et de surcroît parfaitement clean. Car Renaud avait immédiatement su que Tarik n'était pas un camé. Il veillait, c'est tout. Ce gars était un guide pour la vie, une épaule sur laquelle se reposer, un pourvoyeur de lucidité et d'oubli.
L'argent a toujours le dernier mot, et l'idéal d'intégrité fond comme neige au soleil sous les coups du sort et la menace de la misère.
Elle est une pierre sombre et absolument dépourvue de capacité de mouvement ascendant.  Une pierre ne peut que tomber.  Elle ne supporte pas de vouloir si fort répondre à son appel comme une chienne obéissante, comme la grande majorité des femmes sur cette terre vis-à vis du mâle dominant, du mâle vulnérable et capricieux.  Elle n'est pas, ne sera jamais l'une d'entre elles.
Teodora et Renaud étaient prisonniers d'une solitude abyssale.  Ils partageaient un sort identique face à la nécessité de vivre, une sorte de fatalité, comme si un dieu antique les avait punis en les condamnant à une forme d'exil permanent, hors d'eux mêmes et du monde. 
Rien au monde ne pouvait être plus éloigné que ces deux créatures, l'Anglaise âgée de bonne éducation, qui écoutait Bowie et les Clash mais vivait comme dans Dickens, et la criminelle d'Amérique latine, fruit d'un peuple dépossédé d'identité.  Mais c'était des femmes, et ce fait expliquait sans doute déjà à lui seul ce lien immédiat et fulgurant qui se tissait entre elles avec autant d'évidence.   C'était terrifiant, d'un certain point de vue.  Difficile pour le mâle de trouver sa place dans ce maillage arachnéen redoutable mais invisible.  Il fallait parfois pouvoir disparaître.
Je veux éloigner la peur et la haine, je veux apaiser la colère en toi, effacer l'ardoise de ta vie, la misère et les crimes, et le chagrin, l'insondable chagrin.
Il était incapable de considérer les autres autrement que comme des objets dans son paysage, des pions sur l'échiquier de son existence.
La vie, pourtant, n'a cessé de lui démontrer qu'on ne revient pas en arrière.  Chaque acte posé, chaque voix, chaque impulsion nous propulse vers le changement, nous arrache à ce que nous étions pour nous imposer de singulières métamorphoses, qui ne consistent souvent qu'à nous rappeler cruellement qui nous sommes en vérité. 
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