1. Motorossa (Jean Aubertin – Adèle Albrespy – Editions Dargaud)
De quoi ça parle: Franca est une jeune Italienne de 18 ans. Lorsque sa maman décède, elle est obligée de quitter Rome pour venir habiter chez son oncle et sa tante à Carbonia en Sardaigne. Faire son deuil est déjà difficile, mais lorsqu’on vient d’une grande ville et qu’on doit déménager dans un petit patelin où il ne se passe pas grand-chose, tout devient encore plus compliqué. Franca est vue par ses nouveaux amis sardes comme une intellectuelle un peu bizarre, surtout quand elle leur dit qu’elle veut retourner à Rome pour faire des études d’archéologie. Heureusement, une passion inattendue va l’aider à mieux s’intégrer en Sardaigne. Un jour, alors qu’elle discute avec Silvio, un jeune du coin, il lui propose d’aller faire un tour en moto. Il roule à tombeau ouvert pour essayer de l’impressionner, mais elle adore. C’est une vraie révélation. Franca décide alors d’utiliser l’argent de l’héritage prévu pour ses études et de s’acheter une grosse Ducati, avec l’objectif de participer à la course régionale sur le circuit de la ville, qui est l’événement de l’année à Carbonia. Au début, tous les locaux se moquent de cette Romaine un peu fêlée, avec sa moto rouge puissante qu’elle a du mal à dompter. Ils la surnomment « Motorossa ».
Pourquoi c’est bien: Parce que cette BD, qui est la première publication du dessinateur Jean Aubertin et de sa co-scénariste Adèle Albrespy, est vraiment une toute bonne surprise. Parce que les dessins sont faussement naïfs mais très efficaces, avec des traits vifs et dynamiques. Parce que l’histoire est à la fois originale et surprenante. Parce que c’est aussi un récit spectaculaire inspiré par le manga, dans lequel la course de motos occupe une grande place. Parce que Jean Aubertin met magnifiquement en scène le vrombissement des moteurs et la frénésie de la compétition. Parce que c’est une BD sensible et personnelle, avec des personnages attachants. Parce que c’est un roman graphique qui sent bon les vacances en Italie, avec la mer, le soleil et le ciel bleu.
2. Du bout des doigts (Cyril Bonin – Editions Grand Angle)
De quoi ça parle: Paul est un râleur invétéré, qui passe des heures à disserter sur l’art avec ses copains artistes et qui semble se complaire dans son image de peintre maudit et romantique. Il entretient une liaison avec une femme mariée qui s’appelle Georgina. Lorsque celle-ci lui apporte une lettre d’une galerie qui veut exposer ses œuvres, Paul ne se montre pas très enthousiaste… Mais sa vie va basculer lorsqu’il décide d’aller chez le coiffeur. Alors qu’il râle encore parce qu’on le fait poireauter pendant 20 minutes, c’est finalement une belle jeune femme prénommée Mathilde qui le coiffe. Immédiatement, le courant passe entre eux. Lorsqu’il lui dit qu’il est artiste, elle lui donne une définition de l’art beaucoup plus convaincante que celle de ses amis. En sortant du salon de coiffure, Paul se sent revigoré et plein d’inspiration. Et il accepte la proposition d’exposition, même si ça signifie qu’il doit produire vingt toiles en seulement trois mois. Mais petit à petit, il se démoralise. C’est uniquement quand Mathilde vient chez lui pour voir ses peintures qu’il se sent à nouveau revivre. Il se sent heureux, un sentiment inédit pour lui. La jolie coiffeuse aurait-elle de la magie au bout des doigts?
Pourquoi c’est bien: Parce que Cyril Bonin pose une question primordiale dans cette BD: le bonheur et la création artistique peuvent-ils faire bon ménage? Parce que c’est un album sensible, plein d’optimisme et d’espoir, qui ressemble à une sorte de conte de fées moderne. Parce qu’il y a un réel plaisir de lecture, avec une histoire fluide et des personnages attachants. Parce que cette bande dessinée pleine de délicatesse devrait plaire aux amateurs de récits « feel good ». Parce que c’est très joliment mis en images, avec une ambiance graphique sortie tout droit des sixties.
3. SODA – Le pasteur sanglant (Bruno Gazzotti – Olivier Bocquet – Editions Dupuis)
De quoi ça parle: David Solomon, alias SODA, est un flic new-yorkais qui se fait passer pour un pasteur auprès de sa mère, une dame à la fois cardiaque et très croyante, avec laquelle il vit depuis la mort de son père. Un matin, après avoir été réveillé en sursaut par un cauchemar violent dans lequel il rêve qu’il tue sa mère, il constate qu’il a perdu la petite croix sur le veston de son costume de pasteur. Un peu plus tard, en se rendant sur une scène de crime avec sa coéquipière Linda Tchaïkowsky, David retrouve cette même croix dans la main de la victime, une vieille prostituée qui a une feuille d’agenda agrafée sur le front. Comme deux autres femmes assassinées avant elle, ce qui fait penser à un possible serial killer. De manière totalement inattendue, la pauvre dame reprend conscience un instant et hurle en voyant SODA, qu’elle désigne comme son agresseur. De retour au commissariat, le supérieur de David lui rappelle qu’il a rendez-vous avec son psychiatre, un certain docteur Argiolas. Mais SODA ne se souvient absolument pas de lui, alors qu’ils ont pourtant déjà eu dix séances ensemble…
Pourquoi c’est bien: Parce que SODA, personnage mythique né dans le journal Spirou au milieu des années 80, refait son apparition après une interruption de 10 ans. Parce que c’est un retour réussi. Parce que le scénariste Olivier Bocquet, qui a repris les commandes après la disparition de Philippe Tome en 2019, a eu la bonne idée de revenir aux fondamentaux de la série, en situant l’action de ce nouvel album dans le New York un peu sale et poisseux des années 80, soit avant le 11 septembre, les smartphones et les réseaux sociaux. Parce que pour une fois, le policier pasteur va se retrouver dans la peau d’un accusé. Parce que c’est un album dynamique et bien construit, qui plaira à coup sûr aux nostalgiques des premiers albums, mais qui pourrait aussi séduire des nouveaux lecteurs.
4. Omula et Rema – Tome 1: La fin d’un monde (Yves Sente – Jorge Miguel – Editions Rue de Sèvres)
De quoi ça parle: La jeune Omula vit sur Yagea, une planète lointaine à l’architecture futuriste. Malgré leur maîtrise des technologies, les habitants de cette planète doivent faire face à une surpopulation difficilement tenable et à des ressources qui se raréfient. C’est pour cette raison qu’Omula et ses parents sont envoyés en mission de reconnaissance pour essayer de trouver une nouvelle planète où vivre. Chacun des membres de cette mission est accompagné de ce qu’on appelle des « substituts », c’est-à-dire des clones sur lesquels on peut prélever des organes en cas de problème. L’un des clones de la jeune Omula s’appelle Rema. Au même moment, sur Terre, dans la cité antique d’Albalonga, un complot se trame pour succéder au roi Procas. Après une série d’assassinats et de trahisons, c’est finalement un certain Amulius qui devient roi aux dépens de son frère Numitor, qui était pourtant l’héritier légitime. Ces deux histoires se déroulent en parallèle dans deux mondes extrêmement différents, mais on se doute bien que les destins de tous les personnages vont finir par se croiser…
Pourquoi c’est bien: Parce que « Omula et Rema » est en quelque sorte une BD « deux en un », avec d’un côté un univers futuriste sur une planète lointaine et de l’autre côté un univers antique qui fait penser à la fondation de l’Empire Romain, un peu comme si Alix rencontrait Luke Skywalker. Parce que cet étonnant mélange de genres se révèle finalement assez séduisant et fonctionne plutôt bien. Parce que le chassé-croisé entre le voyage spatial et le monde antique tient parfaitement la route. Parce qu’on a hâte de lire la conclusion de l’histoire dans le deuxième et dernier tome, car ce premier épisode se termine sur un fameux coup de théâtre.
5. Carole, ce que nous laissons derrière nous (Clément C. Fabre – Editions Dargaud)
De quoi ça parle: L’histoire commence dans un cimetière arménien à Istanbul, en 2013. Deux frères français, Clément et Robin, sont à la recherche de la tombe de leur tante Carole, qui est décédée en 1954, quelques jours à peine après sa naissance. C’est surtout Clément qui est obsédé par l’idée de retrouver la trace de Carole, dont il a longtemps ignoré l’existence. Cette volonté de faire son deuil vient des discussions de Clément avec son psy. Lors de ces séances, il se rend compte qu’il est temps pour lui de replonger dans ses racines arméniennes. Car en réalité, si Clément a mis longtemps avant d’entendre parler de Carole, c’est parce qu’elle est morte peu avant l’exil de ses grands-parents pour la France. C’est à cette époque, en 1955, qu’ils ont décidé de fuir Istanbul pour Marseille, parce qu’à ce moment-là, les violences contre les Arméniens avaient recommencé, quelques dizaines d’années à peine après le génocide. Ce voyage à Istanbul va donner l’occasion à Clément et Robin de marcher sur les traces de leurs grands-parents et de mieux comprendre ce qu’ils ont vécu.
Pourquoi c’est bien: Parce que c’est un récit autobiographique, inspiré par le voyage bien réel effectué par l’auteur Clément C. Fabre à Istanbul avec son frère. Parce que c’est un roman graphique pudique et touchant, qui mélange petite et grande histoire. Parce que cette BD montre comment chacun de nous est marqué, souvent de manière inconsciente, par les secrets de famille et par la trajectoire de ses ancêtres. Parce que les dessins sont doux, chaleureux et pleins d’émotion, avec notamment des très belles planches dans les cimetières que visitent Clément et Robin. Parce que c’est un récit plein d’humanité et sans manichéisme, qui permet à la fois de mieux comprendre les relations complexes entre les Turcs et les Arméniens et de découvrir la Turquie actuelle sous un autre jour.