Dans un roman estival par excellence, Laure Manel interroge les fondements du couple, ses forces et ses failles. C’est léger mais pas (du tout) dénué d’intérêt.
En littérature, je pars du principe qu’il y a un temps pour tout et donc un temps pour chaque type de lecture. Pendant l’été, je fais partie des lecteurs qui sont naturellement attirés par des romans de circonstance, à la fois légers, faciles à lire, rythmés et si en plus ils peuvent sentir bon les embruns et la crème solaire c’est encore mieux. Et en même temps, je me considère comme une lectrice pénible (non pas exigeante mais réellement pénible, vous allez comprendre la différence…), qui ne se satisfait pas facilement d’histoires pavées de bons sentiments, de personnages résilients et de dénouements heureux.
Pas simple dans un tel contexte de trouver la bonne lecture de l’été parmi les romans feel good qui envahissent les tables des librairies dès l’arrivée des beaux jours. Mais j’ai finalement trouvé mon bonheur sous la plume de Laure Manel qui, dans L’ivresse des libellules, nous embarque dans une villa en Ardèche, en compagnie d’une bande de copains, la quarantaine rugissante, venus pour fuir l’agitation domestique pendant quinze jours de repos bien mérité.
Cette année, ils se sont mis d’accord : il n’y aura pas de cris d’enfants, de couchers avec les poules, d’éclaboussures dans la piscine, de coquillettes-jambon à tous les repas. Cette année, les vacances ça sera version “adult only”. Les espoirs sont grands de se retrouver enfin tel que l’on était avant de devenir des mères et des pères débordés, épuisés et au bord de la crise de nerf en permanence. Pour certains, c’est le moment idéal pour se redécouvrir après vingt ans d’un mariage sans nuages et raviver la petite étincelle dans le regard de son conjoint. Pour d’autres c’est l’occasion de se projeter dans un avenir en commun alors que le couple n’en est encore qu’à ses balbutiements.
Et puis, rencontrer c’est bien… mais cela ne suffit pas. Car après ? Il faut se plaire, il faut s’aimer, il faut être compatibles, accorder ses emplois du temps, aimer faire l’amour ensemble, avoir la même vision du couple et de la vie, les mêmes valeurs, les mêmes envies… Ambitieux programme… Alors, quel pourcentage de chance pour que ça marche ?
Dans L’ivresse des libellules, il est question du couple évidemment. De la place que l’on y occupe, du but que l’on poursuit ensemble ou séparément, de l’amour propre indispensable à toute autre forme d’amour et de la fragilité légitime que l’on peut ressentir à placer son bonheur entre les mains d’une tierce personne.
En réunissant sous un même toit une typologie de personnages représentatifs de la société, l’autrice offre à ses lecteurs un miroir de leur propre situation amoureuse. Il y a les célibataires qui se reconnaîtront certainement dans la très séduisante Valentine ; les couples heureux, à l’image de Claire et de Jérôme, qui sont parvenus à traverser les difficultés de l’existence sans jamais se lâcher la main ; les couples de longue date qui peinent à se réinventer comme Emilie et Vincent ; les familles recomposées avec leur lot de frictions et d’ajustements indispensables incarnées par Sybil et Alex et enfin il y a Caroline et Sébastien pour nous parler du couple naissant, de ce moment hors du temps où l’on est aveuglé par ses sentiments.
Si j’étais une lectrice exigeante, je vous dirais que tout ceci est évidemment très caricatural et simpliste dans la vision du couple et de la famille et que l’écriture n’a rien de subtil non plus. Les scènes sont assez téléphonées et les dialogues souvent d’une pauvreté affligeante. On baigne dans la facilité. Ce sont tous ces points qui m’ont gênée lorsque j’ai voulu découvrir L’ivresse des libellules en audio il y a quelques mois. Une lecture à voix haute c’est un peu comme un legging : ça ne vous fait aucun cadeau ! Toutes les faiblesses du texte vous sautent à la figure. Je n’ai donc pas insisté sur le moment.
Tous les couples traversent des crises. Au moins une importante, j’imagine […] Les couples qui durent n’ont pas su les éviter, ils les ont surmontées, c’est différent.
Et puis cet été, mon côté lectrice pénible a refait surface. J’ai cherché pendant un bon moment le roman léger à glisser dans mon sac de plage mais en vain. C’est alors que le résumé de L’ivresse des libellules m’est revenu à l’esprit. Sur l’instant, une histoire de couples quadra en vacances, c’est pile ce qui me faisait envie, j’ai donc tenté une nouvelle lecture et c’est drôle comme ma perception de ce roman a évolué. J’étais pile au bon endroit et dans les bonnes dispositions pour l’apprécier.
Bien sûr, tous les défauts cités précédemment ne se sont pas évanouis comme par magie, ils sont simplement devenus secondaires. Le secret ? Je me suis identifiée aux personnages, j’ai commencé à m’imprégner de leurs doutes, de leurs espoirs et de leurs émotions. Petit à petit, ce roman léger et sans prétention m’a amenée à me poser des questions sur ce que représentait pour moi la vie de couple, l’idéal à deux, le temps qui passe, ces mille et unes petites choses qui viennent renforcer l’amour que l’on se porte ou qui, au contraire, peuvent lui porter le coup de grâce.
J’ai rapidement identifié le couple qui correspondait le mieux à ma situation et puis, petit à petit je me suis rendu compte que dans ma vie, j’avais été tour à tour dans la situation de Claire, d’Emilie, de Valentine, de Caroline et de Sybil. Tout simplement parce que la vie à deux n’a rien d’un long fleuve tranquille. C’est lorsqu’on l’oublie que ça devient dangereux. Alors j’ai pris ce livre pour ce qu’il avait à m’offrir : une jolie leçon de vie. J’ai tourné les pages en pensant à quel point j’étais heureuse dans la vie que je m’étais construite, me sentant pile à ma place. J’ai aussi songé à la fragilité d’un tel bonheur et à la nécessité d’en prendre la mesure à chaque instant.
Finalement, la lectrice pénible que je suis a eu le dessus sur la lectrice exigeante que j’aurais pu être. Heureusement pour moi car il y a un temps pour tout. Un temps pour apprécier les belles lettres et un temps pour apprécier les beaux sentiments.
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L’ESSENTIEL
L’ivresse des libellules
Laure Manel
Edité chez Michel Lafon en GF, Le livre de poche en poche et chez Audiolib en audio
Publié le 04/04/2019 en GF et le 03/06/2020 en poche
384 pages
Genre : roman feel-good
Personnages : Claire et Jérôme, Sybil et Alex, Caroline et Sébastien, Emilie et Vincent, Valentine
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : les autres romans de l’autrice (La délicatesse du homard, La mélancolie du kangourou, Le sourire des fées, etc.), les romans de Virginie Grimaldi (Le parfum du bonheur est plus fort sous la pluie, Le premier jour du reste de ma vie, etc.), Sophie TalMen (Va où le vent te berce, etc.), Serena Giuliana (Ciao bella, etc.) ou encore de Sonia Dagotor (Ceux qui s’aiment finissent toujours par se retrouver, etc.)
RESUME DE L’EDITEUR
Quatre couples d’amis décident de s’octroyer des vacances sans enfants dans une luxueuse bastide. Mais l’ambiance qui promettait d’être insouciante et idyllique ne tarde pas à se charger d’électricité. La faute aux caractères (et petites névroses) de chacun et chacune, aux modes de vie différents, à l’usure et à la routine qui guettent les amoureux quand s’invite le quotidien, et à des parents qui ont oublié ce qu’était leur existence lorsqu’ils ne l’étaient pas encore…
Quand débarque une jeune et jolie célibataire, le groupe est plus que jamais au bord de l’implosion.
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire L’ivresse des libellules
- si vous cherchez une lecture légère
- si vous aimez vous identifier aux personnages
- si vous aimez les histoires universelles
3 raisons de ne pas lire L’ivresse des libellules
- si vous êtes allergique aux romans feel-good
- si vous cherchez plus qu’un roman simplement divertissant
- si vous voulez vous extraire de la banalité du quotidien
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