Les nageurs de la nuit - Tomasz Jedrowski ♥♥♥♥♥

 Les nageurs de la nuit  -  Tomasz Jedrowski  ♥♥♥♥♥


Les nageurs de la nuit    -   Tomasz Jedrowski  ♥♥♥♥♥


















Editions La croisée
Parution : 08 mars 2023
Traduit de l'anglais par Laurent Bury
Pages : 224
Isbn : 9782413078241
Prix : 20 €
Présentation de l'éditeur
Pologne, 1980. Ludwik et Janusz, étudiants, tombent amoureux autour d’un roman interdit de James Baldwin. Mais à Varsovie, sous le joug d’un Parti soupçonneux, leur relation doit rester clandestine. Alors que Janusz veut rentrer dans le rang du Parti, Ludwik s’insurge contre la politique injuste de son pays. Chacun d’eux se trouve confronté au choix d’une vie : faut-il trahir ou se trahir pour protéger ceux que l’on aime ?Au fil d’une plume élégante, tour à tour sensuelle, mélancolique et inquiétante, Tomasz Jedrowski nous plonge dans une bouleversante éducation sentimentale et politique derrière le Rideau de fer.
Tomasz Jedrowski
Les nageurs de la nuit    -   Tomasz Jedrowski  ♥♥♥♥♥
TOMASZ JEDROWSKI est né en 1985 en Allemagne et a étudié le droit à Cambridge et Paris. Les Nageurs de la nuit est son premier roman, traduit et acclamé dans plus de dix pays.

source : La croisée


Mon avis
C'est un magnifique premier roman que nous propose Tomasz Jedrowski. 
Ludwik, le narrateur a 22 ans en 1980, il termine ses études de lettres à l'université de Varsovie.  Il participe à un camp d'été, un camp de travail obligatoire où il devra arracher des betteraves ... pour valider son cursus ...  
C'est dans ce camp qu'il va rencontrer Janusz, à qui il adresse ce récit rédigé à la seconde personne.
Ludwik raconte son enfance.  Élevé par sa mère et sa grand-mère, refoulant en lui sa nature, il se souvient déjà enfant son attirance pour Beniek.
C'est lors de cet été 80, à la campagne q'il va enfin devenir lui-même, tomber amoureux de Janusz.
Un livre interdit en Pologne les réunit ; "La chambre de Giovanni" de James Baldwin publié en 1956.
Cette rencontre se passe dans les annés 80, période où la Pologne, dictature communiste impose des pénuries et de longues queues de rationnement, c'est la période de l'émergence de l'opposition, de Solidarność et de la répression.
On va suivre l'histoire de Ludwik et Janusz avec en filigranes l'Histoire de leur pays.  Ils ont des points de vue diamétralement opposés, Janusz voulant s'inscrire dans la ligne du parti, Ludwik étant révulsé par les injustices de son peuple.
C'est magnifiquement écrit. La plume est élégante, mélancolique, envoûtante. J'ai beaucoup aimé les scènes au bord du lac où la nature est excessivement bien décrite.  
Un très beau récit qui nous raconte une éducation sentimentale et politique, un climat social extrêmement tendu, la honte et le poids d'un secret, la peur mais aussi la recherche de la liberté.
Coup de ♥

Les jolies phrases
L'égoïsme. Devenir soi-même n'est rien d'autre.
La façon dont tu me regardais m'a fait comprendre que tu ne jugeais pas.  Dans la vie, on ne rencontre pas tant de gens qui nous donnent cette impression. 
La liberté, c'est avoir ce dont on a envie, ai-je dit avec soin.  C'est choisir par soi-même. 
Quand j'avais terminé, une fois mon corps déchargé, je chassais ces pensées, loin dans les recoins de mon cerveau.  Et pourtant je me réveillais avec les mêmes images fixées dans ma tête, comme des mouches attrapées au ruban collant.  Des années de désir comprimé comme un muscle à la pulsation impitoyable.  J'étais comme une flamme laissée allumée sans raison sur la gazinière. 
Ce n'était pas du divertissement, du dépaysement : c'était un livre qui paraissait avoir été écrit pour moi, qui m'emportait dans son monde pour m'unir à quelque chose qui semblait être là depuis toujours et dont je semblais faire partie.  J'avais l'impression que les mots et les pensées du narrateur - malgré leur souffrance, malgré leur tourment - guérissaient un peu de ma souffrance et de mon tourment, par le simple fait de leur existence. 
C'est ainsi que je vivais à l'époque : à travers les livres. Je m'enfermais dans leur histoire, je rêvais de leurs personnages la nuit, je me prenais pour eux. Ils étaient mon armure contre les arêtes dures de la réalité. Je les emportais partout avec moi, comme un talisman dans ma poche, et ils me semblaient presque plus réels que les personnes autour de moi, qui parlaient et vivaient dans le déni, destinées à ne jamais rien faire qui mérite d'être raconté, pensais-je.
Certaines choses ne peuvent être effacées par le silence. Certaines personnes ont ce pouvoir sur nous, que cela nous plaise ou non. Je commence à le comprendre. Certains êtres, certains événements peuvent nous faire perdre la tête. Comme une guillotine, ils coupent notre vie en deux, ils séparent le vivant et le mort, l'avant et l'après.
Le pire est peut-être de n'avoir personne à qui parler, personne qui puisse ouvrir la fenêtre pour renouveler l'air de ces interrogations qui sentent le renfermé.  Je sais que je finirai par avoir besoin de trouver quelqu'un à qui me confier. 
Peu importe ce qui se produit dans le monde, si brutal ou dystopique que soit l'événement, tout n'est pas perdu s'il y a des gens qui risquent leur vie pour en rapporter un témoignage.  Les petites étincelles causent elles aussi des incendies.
Je pense que c'est le désespoir qui l'a tuée.  Á force de ne faire que des choses en lesquelles elle ne croyait pas, elle devait être morte à l'intérieur depuis des années avant que son corps ne finisse par renoncer à son tour. 
Nous faisons simplement la queue pour une possibilité, pour quelque chose, peut-être pour rien, a-t-elle dit avec son sourire triste et affectueux.  Mais ça passera, mon petit.  Même la plus longue file d'attente finit par se dissoudre.  
Tu ne peux pas forcer les gens à t'aimer comme tu le voudrais.
Et pourtant, il me vient maintenant à l'esprit que nous ne pouvons jamais faire durer nos mensonges indéfiniment.  Tôt ou tard, nous sommes forcés d'affronter leurs ténèbres.  Nous pouvons choisir quand, mais pas si. Et plus nous attendons, plus ce sera douloureux et incertain.  Même notre pays fait cela à présent - il affronte les archives de ses mensonges, il patauge dans le bourbier dans l'espoir d'atteindre une vérité vivable.