Premier roman de l'écrivain, Grimus introuvable en français depuis sa parution en 1977, vient d'être réédité.
Il était une fois, quelque part. Après avoir bu un élixir d'immortalité, Aigle Errant, un jeune Amérindien orphelin et vierge, passe sept cents ans à parcourir le monde. Mais le don de vie éternelle commence à lui peser car " l'éternité c'est long surtout vers la fin " comme disait Woody Allen. Lassé de l'existence, Aigle Errant gagne l'île du Veau, où il espère trouver l'homme capable de lui rendre sa mortalité. Il s'aperçoit vite qu'il n'est pas le bienvenu sur cette île étrange où sévit un mystérieux et corrosif effet Grimus...
J'aime autant vous le dire tout de suite, c'est le genre de bouquin qui vous tombe des mains à moins que...
Conte ? Science-fiction ? En tout cas, délire total c'est certain avec une portée philosophique sur ce qui est et ce qui n'est pas.
Outre l'immortalité de notre héros, l'île de Veau en Méditerranée, dominée par une haute montagne, mais dans une autre dimension, accueille d'autres personnages eux aussi immortels. Virgil Jones n'est pas le moins étonnant (" Enorme et droit comme un I ") même si sa compagne n'a rien à lui envier (" Petite et bossue "). D'autres couples comme Q.I. Gribb " érudit, maître à penser, théoricien de l'abstrait " et sa jeune épouse Elfrida. Au rayon dames, citons aussi Irina, les pensionnaires du bordel local ou la propre sœur d'Aigle Errant, Louve Ailée, toutes connaitront de " près " le rapace, car oui, Rushdie sait être un peu coquin.
Toute l'île semble figée et sous la coupe d'un certain Grimus dont Aigle Errant est bien décidé à faire la connaissance malgré les risques ou l'impossibilité théorique de le faire d'après ce qu'on lui dit, car il serait seul capable de mettre fin à son immortalité.
Le roman est foisonnant et dense, on n'y comprend pas vraiment grand-chose, l'écrivain fait dire par un autre, ses raisons : " J'aime les récits qui empruntent à la vie son côté imprévisible, un peu brouillon, avec des points d'interrogation à tous les tournants et des rencontres merveilleuses dues au hasard et non à un vaste plan soigneusement élaboré ". Dont acte. Pourtant dans ce bouillonnement narratif surgissent des questions très intéressantes en ponctuant la lecture comme : " Est-ce que l'absence de mort implique automatiquement l'absence de vie ? "
Donc, un bouquin qui vous tombera des mains, sauf si vous acceptez de lâcher prise, de le lire sans trop chercher à comprendre, de vous laisser emporter par la verve de Salman Rushdie et de vous y noyer comme dans un rêve hallucinant.
" Disons tout simplement que Grimus possède la clé d'une découverte absolument prodigieuse, reprit Virgil un peu plus tard. Voilà : nous vivons dans une dimension parmi une infinité d'autres. Et accepter la réalité de ces Dimensions implique qu'il nous faut entièrement réviser nos idées sur nous-mêmes et sur la nature de notre univers. Donc, réécrire le Grand Livre des Lois depuis le début. Voici la question qu'on doit se poser : peut-on accuser la Connaissance d'être trop grande ? Si quelqu'un fait une découverte extraordinaire mais dont on ne peut pas contrôler les effets, doit-il essayer de la détruire ou considérer que les intérêts de la science l'emportent sur la société et même sur la conservation de la race ? Vaut-il mieux mourir en ayant eu la connaissance, ou ne rien avoir connu ? Question fort délicate... et grave. "
Traduit de l'anglais par Maud Perrin