Dès la première page, In Homo Veritas s’impose comme un OVNI. Postés initialement sur internet, les billets d’humeur y sont compilés sur papier. Ici, le blog ne devient pas la version 2.0 du journal intime mais reprend la forme d’un bon vieux livre, l’Histoire à contre-sens. Pas question pour autant de respecter les codes classiques : exit l’écriture littéraire, l’auteur lui substitue un franc-parlé gouailleur qui déroute et interpelle, sans autre forme de procès. Protéiforme, espiègle, voire un brin insolente, l'œuvre laissait entrevoir un électron-libre facétieux. Et à en croire le regard malicieux avec lequel l’auteur nous accueille, il semblerait qu’on ne nous ait point menti.
“D’abord j’ai un vrai nom, qui n’est pas un pseudo, je m’appelle Denis Fournaud. J’ai 80 balais bien sonnés, et je n’ai, à vrai dire, pas grand chose à dire sur moi.” L’auteur d’In Homo Veritas, a pourtant eu une vie bien remplie. Droit, Études européennes, conseil aux entreprises… C’est aussi le père de la célèbre bière Desperados.
L’auteur houblonné n’a pourtant pas besoin d’alcool pour s’amuser, pour lui, le rire est une philosophie de vie : “Quand on rit, on réfléchit.” Sous sa plume, l’homo sapiens devient homo rigolens : “ Chez les primates, on constate qu’il y a des sociétés qui ne fonctionnent pas du tout comme les nôtres et où les conflits savent se régler avec légèreté. Prenez le bonobo. C’est un singe qui est gai. Il commence par s’engueuler avec un autre et ça finit en ébats amoureux, c’est merveilleux. L’Homme devrait s’en inspirer un peu.” Vu sous cet angle, on adhérerait volontiers à l’URR, l’Union du Rire par la Raison, imaginée par notre nouveau maître à penser.
Pour comprendre les posts du blog de Denis Fournaud, compilés dans In Homo Veritas, il reste un concept à apprivoiser, un nouveau néologisme dont l’écrivain a le secret : la connuisance. “Alors oui, ça j’en revendique l’invention. Le connuisant, c’est un con qui est méchant.” C’est quelqu’un qui ne rit pas assez ? “Je pense que oui. Beaucoup sont tout de même capables d’abandonner leur fanatisme, les erreurs de raisonnement dans lesquelles ils sont. Et puis, évidemment, il y a les irréductibles, ceux-là, on ne peut rien y faire. Le connuisant absolu, il est difficilement déprogrammable.”
Des connuisants, Denis Fournaud en identifie beaucoup, et les mondes scientifique et politique sont des viviers dans lesquels il aime puiser avec allégresse : “Avec qui vous allez me mettre mal là ?”. La liste est longue. L’octogénaire n’est pas du genre à garder sa langue, ou sa plume, dans sa poche. “Je n’ai rien contre la science mais contre ses excès. Dans “technologie” il y a “technique”. Il y a des tas de choses qui sont formidables mais un algorithme indéterministe c’est dangereux. Moi je ne sais pas ce qu’ils font les mecs de la Silicon Valley, mais ils sont vachement inquiétants.”
Denis Fournaud ne sait peut-être pas ce qui se passe dans la Silicon Valley, mais il en sait pourtant des choses. Un rigolo érudit, donc. Les singes, Érasme, Voltaire, Dany Boon, la Silicon Valley, Cohn Bendit, Charles le Téméraire… Interviewer Denis Fournaud, c’est être prêt à sauter sans cesse du coq à l’âne. À l’image de son livre où les poèmes répondent aux diatribes, qui répondent aux images commentées, qui répondent aux dictionnaires improvisés… Peu importe, le message reste le même : “Le rire vous va bien. Gardez-le, faites-le vivre !”
À l’image de notre rencontre, Denis Fournaud signe une œuvre rafraîchissante, qu’il faut savoir apprivoiser, déchiffrer peu à peu, pour en apprécier toute la singularité, de ton et de fond. À la fin, un seul constat : rire est hautement recommandé.