Salma El Moumni – Adieu Tanger ***

Par Laure F. @LFolavril

Grasset – 30 août 2023 – 180 pages

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Voici un roman qui nous tutoie – le « tu » pour mieux se glisser dans la peau d’Alia, une lycéenne qui, en réaction aux regards des hommes qu’elle surprend sur elle dans la rue, commence à se prendre en photo avec son téléphone le soir, quand tout le monde dort. Pour tenter de comprendre ce regard sur elle, de dissocier son corps de son « je », de le mettre à distance, de le cerner. Elle prend différentes poses, et ce rituel nocturne devient vite un besoin à assouvir, une compulsion. Elle fréquente Quentin, un Français qui étudie dans le même lycée qu’elle. Quentin, qui va la trahir et divulguer ses photos sur les réseaux sociaux. Coupable d’outrage à la pudeur malgré elle – article 483 – Alia fuit son pays, terrorisée à l’idée que ses parents le sachent. Elle s’installe à Lyon, se croyant à l’abri de son passé… Jusqu’à ce qu’elle croise Quentin, devant le restaurant où elle travaille. Les vieux démon se réveillent et avec eux, la colère, toujours aussi vive. « Il est resté sur toi, comme une tache d’encre qui, même frottée, laisse des marques noires et baveuses sous le sein gauche et s’étend jusqu’à l’aine. »

Adieu Tanger est un roman sans concession, les mots résonnent et entrechoquent le réel. « C’est une vision effrayante, de confronter ton regard qui te juge, qui te voit dans ta nudité. On ne peut pas s’enfuir de soi-même, et cette pensée signifie l’insoutenable. » Un récit sur le corps, le regard des hommes qui détruit, l’identité ; comment faire corps, comment exister dans cette société patriarcale et machiste quand on est une femme, avec un corps. Il y a le regard de soi, et celui des autres, celui des hommes – et la honte qui naît de ce regard, la honte de sa féminité. C’est au fond « un rapport au corps perpétuellement marqué par la violence ». Les mots de Salma El Moumni expriment la violence du corps qui ne s’appartient plus, du corps disloqué qu’il reste à se réapproprier.