Il faut absolument que tu rencontres Dawn! Moi, je l’ai rencontrée au moment où elle entrait à la maternelle. Je l’ai quitté lorsqu’elle était en première année de droit, loin de la réserve. Entre ces années, elle m’a trimballé à gauche et à droite, de la réserve d’Okanese, en Saskatchewan, jusqu’à The Pas, au Manitoba. J’ai été prise sous son charme dès les premières pages. J’ai eu l’impression, tout du long, qu’elle me racontait un chapelet de petites histoires: les défis posés par le goguenot, la recherche du meilleur déguisement d’Halloween, une soirée au bingo, un repas de tripes, un procès pour sorcellerie… Aucune intrigue porteuse, mais une collection d’anecdotes.Dawn Dumont a grandi au cœur de la communauté autochtone d'Okanese, en Saskatchewan, «la plus petite réserve du monde». J’ai l’impression qu’elle a mis beaucoup d’elle-même dans ce roman. Son héroïne ne s’appelle pas Dawn pour rien.
Difficile, voire impossible, de sortir du carcan dans lequel la vie dans les réserves est corsetée. L’alcoolisme, la pauvreté, la violence sont omniprésentes. La différence, ici, c’est que Dawn Dumont transcende, par un humour fougueux, les représentations dramatiques de la vie dans les réserves. Elle dresse un tableau qui dépasse les stéréotypes culturels. Pour la légèreté et l’impertinence, j’ai tout de suite pensé aux mots de Thomas King et de Sherman Alexie.
Malgré les différences culturelles, les Autochtones et les Blancs se ressemblent beaucoup plus qu’ils ne le pensent. Les problèmes, les rêves et les aspirations de Dawn ne sont pas différents de ceux de n’importe quelle adolescente. Chaque personnage est incarné, vibrant d’authenticité. Des personnages pleins de ressources. À commencer par Dawn. J’avoue que le fait qu’elle soit une grande lectrice ne pouvait que m’attirer – sa mère aussi lit tout le temps. J’ai développé une grande affection pour cette mère batailleuse, une femme qui se tient debout, bien droite, qui ne s’en laisse pas imposer, ne courbe pas l’échine devant son mari alcoolique. Elle passe d’ailleurs son temps à le quitter, trimballant ses enfants d’une ville à l’autre au milieu de la nuitMaman était une femme nouvelle, une femme indépendante. Et pourquoi ne l’aurait-elle pas été? Les temps changeaient, comme chantait l’autre. On n’était plus dans les années 1970, quand les femmes enduraient toutes les merdes possibles. C’était les années 1980. Les femmes n’avaient plus à rester bien sages et à endurer les coups envoyés par leur mari; elles étaient libres de choisir. Mary Tyler Moore ne l’avait-elle pas prouvé? Bien sûr, Mary n’était pas une mère monoparentale essayant tant bien que mal de s’occuper de quatre enfants de moins de onze ans et, bien sûr, elle n’avait pas à subir le racisme, mais le message restait le même: les femmes pouvaient faire ce qu’elles voulaient par elles-mêmes.
J’ai adoré l’angle sous lequel les problèmes sociaux sont abordés, souvent teintés de sarcasme et d’ironie.
On parle de la Saskatchewan rurale ici. Un milieu où on a eu l’eau courante seulement à la fin des années 1970. Pour la perdre en 1985. Puis la ravoir en 1986, mais elle n’était pas bonne à boire. Avec un peu de chance, le problème devrait être réglé d’ici la fin du vingt et unième siècle.
Il faut être sacrément doué pour générer un éclat de rire en lisant un passage sur la tragédie des pensionnats autochtones...
On pleure pas au bingo, c'est la voix juste et authentique d’une gamine bien entourée. Je suis complètement sous le charme. V'la un roman que je ne suis pas prête d’oublier.Je lance une bouteille à la mer: vivement la traduction – idéalement réalisée par Daniel Grenier – de Glass Beads, le plus récent roman de Dawn Dumont. On pleure pas au bingo, Dawn Dumont, trad. Daniel Grenier, Hannenorak, 432 pages, 2019.★★★★★© Nathan Denette